Aller au contenu

Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/370

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
362
LE CAPITAINE FRACASSE.

chair fraîche ! Ho ! non ; elle est jeune et pleine d’appas, j’en suis sûr. Ce que j’apercevais de son col et de sa gorge était blanc, rond, appétissant, et promettait merveille pour le reste ! Oui, j’irai, certes ! je monterai dans le carrosse. Un carrosse ! rien n’est plus noble et de meilleur air ! »

Cette résolution prise, Léandre retourna aux Armes de France, ne toucha que du bout des dents au souper des comédiens, et se retira dans sa chambre où il s’adonisa de son mieux, n’épargnant ni le linge fin à broderies fenestrées, ni la poudre d’iris, ni le musc. Il prit aussi une dague et une épée, bien qu’il ne fût guère capable de s’en servir à l’occasion, mais un amant armé impose toujours plus de respect aux fâcheux jaloux. Puis il rabattit son chapeau sur ses yeux, s’embossa à l’espagnole dans un manteau de couleur sombre, et sortit de l’hôtel à pas de loup, ayant eu ce bonheur de ne point être aperçu du malicieux Scapin, qui ronflait à poings tendus dans sa logette à l’autre bout de la galerie.

Les rues étaient désertes depuis longtemps, car Poitiers se couchait de bonne heure. Léandre ne rencontra âme qui vive, sauf quelques chats efflanqués qui rôdaient mélancoliquement et au bruit de ses pas disparaissaient comme des ombres sous une porte mal jointe ou par un soupirail de cellier. Notre galant débouchait sur la place de l’église comme le dernier coup de minuit sonnait, faisant à son tintement lugubre envoler les hiboux de la vieille tour. La vibration sinistre de la cloche au milieu du silence de la