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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/374

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LE CAPITAINE FRACASSE.
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grâce. Une tapisserie historiée de scènes empruntées à l’Astrée, roman de M. Honoré d’Urfé, revêtait moelleusement les parois des murailles. Des cabinets incrustés en pierres dures de Florence, des fauteuils de velours rouge à crépines, une table couverte d’un tapis de Turquie, des vases de la Chine pleins de fleurs, malgré la saison, montraient assez que la maîtresse du lieu était riche et de haut lignage. Des bras de nègre en marbre noir, jaillissant d’une manche dorée, formaient candélabres, et jetaient la clarté de leurs bougies sur ces magnificences. Ébloui de ces splendeurs, Léandre ne remarqua pas d’abord qu’il n’y avait personne dans ce salon ; il se débarrassa de son manteau, qu’il posa avec son feutre sur un pliant, redonna, devant une glace de Venise, un meilleur tour à une de ses boucles, dont l’économie était compromise, prit la pose la plus gracieuse de son répertoire, et se dit en promenant ses yeux autour de lui :

« Eh mais ! où donc est la divinité de ces lieux ? je vois bien le temple, mais non l’idole. Quand va-t-elle sortir de son nuage et se révéler, vraie déesse par sa démarche, selon l’expression de Virgile ? »

Léandre en était là de sa phraséologie galante intérieure, quand le pli d’une portière en damas des Indes incarnadin se dérangea, ouvrant passage à la dame masquée admiratrice de Lygdamon. Elle avait encore son loup de velours noir, ce qui inquiéta notre comédien.

« Serait-elle laide, pensa-t-il, cet amour du masque m’alarme. » Sa crainte dura peu, car la dame, s’avan-