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LE CHARIOT DE THESPIS.
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Dame Léonarde, la mère noble de la troupe, était vêtue tout de noir comme une duègne espagnole. Des coiffes d’étamine encadraient sa figure grasse à plusieurs mentons, pâlie et comme usée par quarante ans de fard. Des tons d’ivoire jauni et de vieille cire blêmissaient son embonpoint malsain, venu plutôt de l’âge que de la santé. Ses yeux, sur lesquels descendait une paupière molle, avaient une expression d’astuce, et faisaient comme deux taches noires dans sa figure blafarde. Quelques poils commençaient à obombrer les commissures de ses lèvres, quoiqu’elle les arrachât soigneusement avec des pinces. Le caractère féminin avait presque disparu de cette figure, dans les rides de laquelle on eût retrouvé bien des histoires, si l’on eût pris la peine de les y chercher. Comédienne depuis son enfance, dame Léonarde en savait long sur une carrière dont elle avait successivement rempli tous les emplois jusqu’à celui de duègne, accepté si difficilement par la coquetterie, toujours mal convaincue des ravages du temps. Léonarde avait du talent, et, toute vieille qu’elle était, savait se faire applaudir, même à côté des jeunes et jolies, toutes surprises de voir les bravos s’adresser à cette sorcière.

Voilà pour le personnel féminin. Les principaux emplois de la comédie s’y trouvaient représentés, et, s’il manquait un personnage, on racolait en route quelque comédien errant ou quelque amateur de théâtre, heureux de se charger d’un petit rôle, et d’approcher ainsi des Angéliques et des Isabelles. Le personnel mâle se composait du Pédant déjà décrit,