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LE CAPITAINE FRACASSE.

Sa voix fausse, tantôt haute, tantôt basse, procédait par brusques changements de tons et glapissements bizarres, qui surprenaient et faisaient rire sans qu’on en eût envie ; ses mouvements inattendus et comme déterminés par la détente subite d’un ressort caché, présentaient quelque chose d’illogique et d’inquiétant, et paraissaient servir plutôt à retenir l’interlocuteur qu’à exprimer une pensée ou un sentiment. C’était la pantomime du renard évoluant avec rapidité, et faisant cent tours de passe-passe sous l’arbre du haut duquel le dindon fasciné le regarde avant de se laisser choir.

Il portait une souquenille grise par-dessus son costume, dont on entrevoyait les zébrures, soit qu’il n’eût pas eu le temps de se déshabiller après sa dernière représentation, soit que sa garde-robe exiguë ne lui permît pas d’avoir habit de ville et habit de théâtre au grand complet.

Quant au Tyran, c’était un fort bon homme que la nature avait doué, sans doute par plaisanterie, de tous les signes extérieurs de la férocité. Jamais âme plus débonnaire ne revêtit une enveloppe plus rébarbative. De gros sourcils charbonnés, larges de deux doigts, noirs comme s’ils eussent été en peau de taupe, se rejoignant à la racine du nez, des cheveux crépus, une barbe épaisse montant jusqu’aux yeux, et qu’il ne taillait point pour n’avoir pas à s’en adapter une postiche lorsqu’il jouait les Hérodes et les Polyphontes, un teint basané comme un cuir de Cordoue, lui faisaient une physionomie truculente et formidable comme les