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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/6

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II

AVANT-PROPOS.

mémoire ce travail auquel on se livre parmi de vieux papiers à la recherche d’un document perdu. Oh ! que de poussière sur de frais souvenirs, que de lettres jaunies si parfumées autrefois, que de billets signés de mains qui n’écriront plus ; never, oh, never more ! comme dit Edgar Poe dans son navrant poëme du Corbeau !

Pourquoi aller reprendre au fond du passé ce vieux rêve presque oublié, et peindre laborieusement cette esquisse dont les premiers traits à peine avaient été jetés sur la toile au crayon blanc, et que l’aile du temps a effacés plus qu’à demi ? Pourquoi donner suite à ce projet abandonné lorsqu’il était si simple d’écrire un ouvrage plus en harmonie avec les préoccupations modernes ? Depuis longtemps l’on avait cessé de nous demander : « Quand paraîtra le Capitaine Fracasse ? » Beaucoup de gens croyaient qu’il était paru et en faisaient même la critique ; mais de loin en loin, à travers les mille soins de la vie, les voyages, l’incessante besogne du journalisme, l’achèvement d’autres œuvres, un remords nous prenait et nous songions avec une certaine honte à cette promesse non accomplie, dont nul autre que nous peut-être ne gardait souvenance. Les Orientaux s’imaginent que les figures sculptées ou peintes viennent au jugement dernier supplier les artistes de leur donner une âme. Nous avions peur de voir apparaître le capitaine Fracasse pour nous faire une