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LE CHARIOT DE THESPIS.

« Je regrette, dit Sigognac en rendant le salut à la soubrette, que l’état de délabrement de cette demeure, plus faite pour loger des fantômes que des êtres vivants, ne m’ait pas permis de vous recevoir d’une façon plus convenable ; j’aurais voulu vous faire reposer entre des draps de toile de Hollande sous une courtine de damas des Indes, au lieu de vous laisser morfondre sur ce siège vermoulu.

— Ne regrettez rien, monsieur, répondit la soubrette ; sans vous nous aurions passé la nuit dans un chariot embourbé, à grelotter sous une pluie battante, et le matin nous aurait trouvés fort mal en point. D’ailleurs, ce gîte que vous dédaignez est magnifique à côté des granges ouvertes à tous les vents, où nous sommes souvent forcés de dormir sur des bottes de paille, tyrans et victimes, princes et princesses, Léandres et soubrettes, dans notre vie errante de comédiens allant de bourgs en villes. »

Pendant que le Baron et la soubrette échangeaient ces civilités, le Pédant roula par terre avec un fracas d’ais brisés. Son siège, las de le porter, s’était rompu, et le gros homme, étendu à jambes rebindaines, se démenait comme une tortue retournée en poussant des gloussements inarticulés. Dans sa chute, il s’était rattrapé machinalement au bord de la nappe et avait déterminé une cascade de vaisselle dont les flots rebondissaient sur lui. Ce fracas réveilla en sursaut toute la compagnie. Le Tyran, après s’être étiré les bras et frotté les yeux, tendit une main secourable au vieux comique et le remit en pied.