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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/68

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LE CAPITAINE FRACASSE.

Le jeune Baron avait pris à part Pierre pour savoir s’il n’y aurait pas moyen d’avoir dans le village quelques douzaines d’œufs pour faire déjeuner les comédiens, ou quelques poulets à qui on tordrait le col, et le vieux domestique s’était éclipsé pour s’acquitter de la commission au plus vite, la troupe ayant manifesté l’intention de partir de bonne heure pour faire une forte étape et ne pas arriver trop tard à la couchée.

« Vous allez faire un mauvais déjeuner, j’en ai bien peur, dit Sigognac à ses hôtes, et il faudra vous contenter d’une chère pythagoricienne ; mais encore vaut-il mieux mal déjeuner que de ne pas déjeuner du tout, et il n’y a pas, à six lieues à la ronde, le moindre cabaret ni le moindre bouchon. L’état de ce château vous dit que je ne suis pas riche, mais, comme ma pauvreté ne vient que des dépenses qu’ont faites mes ancêtres à la guerre pour la défense de nos rois, je n’ai point à en rougir.

— Non, certes, monsieur, répondit l’Hérode de sa voix de basse, et tel qui se targue de ses biens serait embarrassé d’en dire la source. Quand le traitant s’habille de toile d’or, la noblesse a des trous à son manteau, mais par ces trous on voit l’honneur.

— Ce qui m’étonne, ajouta Blazius, c’est qu’un gentilhomme accompli, comme paraît l’être monsieur, laisse ainsi se consumer sa jeunesse au fond d’une solitude où la Fortune ne peut venir le chercher, quelque envie qu’elle en ait ; si elle passait devant ce château, dont l’architecture pouvait avoir fort bonne