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LE CHARIOT DE THESPIS.

choses contraires à la dignité divine et humaine. Seulement Sigognac était-il amoureux d’Isabelle ? Il ne cherchait pas à approfondir la chose, mais il sentit qu’il éprouverait désormais une horrible tristesse à rester dans ce château, vivifié un moment par la présence d’un être jeune et gracieux.

Aussi eut-il bien vite pris son parti, il pria les comédiens de l’attendre un peu et, tirant Pierre à part, il lui confia son projet. Le fidèle serviteur, quelque peine qu’il eût à se séparer de son maître, ne se dissimulait pas les inconvénients d’un plus long séjour à Sigognac. Il voyait avec peine s’éteindre cette jeunesse dans ce repos morne et cette tristesse indolente, et quoiqu’une troupe de baladins lui semblât un singulier cortège pour un seigneur de Sigognac, il préférait encore ce moyen de tenter la fortune à l’atonie profonde qui, depuis deux ou trois ans surtout, s’emparait du jeune baron. Il eut bientôt rempli une valise du peu d’effets que possédait son maître, réuni dans une bourse de cuir les quelques pistoles disséminées dans les tiroirs du vieux bahut, auxquelles il eut soin d’ajouter, sans rien dire, son humble pécule, dévouement modeste dont peut-être le Baron ne s’aperçut pas, car Pierre, outre les divers emplois qu’il cumulait au château, avait encore celui de trésorier, une véritable sinécure.

Le cheval blanc fut sellé, car Sigognac ne voulait monter dans la charrette des comédiens qu’à deux ou trois lieues du château, pour dissimuler son départ ; il avait, de la sorte, l’air d’accompagner ses hôtes ;