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LE CAPITAINE FRACASSE.

de vétusté et vertes de mousse dont chaque pierre lui était connue ; ces tours aux girouettes rouillées qu’il avait contemplées pendant tant d’heures d’ennui de cet œil fixe et distrait qui ne voit rien ; les fenêtres de ces chambres dévastées qu’il avait parcourues comme le fantôme d’un château maudit, ayant presque peur du bruit de ses pas ; ce jardin inculte où sautelait le crapaud sur la terre humide, où se glissait la couleuvre parmi les ronces ; cette chapelle au toit effondré, aux arceaux croulants, qui obstruait de ses décombres les dalles verdies, sous lesquelles reposaient côte à côte son vieux père et sa mère, gracieuse image, confuse comme le souvenir d’un rêve, à peine entrevue aux premiers jours de l’enfance. Il pensa aussi aux portraits de la galerie qui lui avaient tenu compagnie dans sa solitude et souri pendant vingt ans de leur immobile sourire ; au chasseur de halbrans de la tapisserie, à son lit à quenouilles, dont l’oreiller s’était si souvent mouillé de ses pleurs ; toutes ces choses vieilles, misérables, maussades, rechignées, poussiéreuses, somnolentes, qui lui avaient inspiré tant de dégoût et d’ennui, lui paraissaient maintenant pleines d’un charme qu’il avait méconnu. Il se trouvait ingrat envers ce pauvre vieux castel démantelé qui pourtant l’avait abrité de son mieux et s’était, malgré sa caducité, obstiné à rester debout pour ne pas l’écraser de sa chute, comme un serviteur octogénaire qui se tient sur ses jambes tremblantes tant que le maître est là ; mille amères douceurs, mille tristes plaisirs, mille joyeuses mélancolies lui revenaient en mémoire ; l’ha-