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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/97

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L’AUBERGE DU SOLEIL BLEU.

n’est pas trop noble et trop héroïque pour un pareil sujet, s’illuminaient vaguement à cette lueur et lançaient à travers l’ombre des reflets sanguinolents. Sur une planche, une outre à demi dégonflée s’affaissait dans une attitude flasque et morte comme un torse décapité. Du plafond tombait sinistrement au bout d’un croc de fer une longue flèche de lard, qui, parmi les flocons de fumée montant de l’âtre, prenait une alarmante apparence de pendu.

Certes le taudis, malgré les prétentions de l’hôte, était lugubre à voir, et un passant isolé aurait pu, sans être précisément poltron, se sentir l’imagination travaillée de fantaisies maussades et craindre de trouver dans l’ordinaire du lieu quelqu’un de ces pâtés de chair humaine faits aux dépens des voyageurs solitaires ; mais la troupe des comédiens était trop nombreuse pour que de semblables terreurs pussent venir à ces braves histrions accoutumés d’ailleurs, par leur vie errante, aux plus étranges logis.

À l’angle d’un des bancs, lorsque les comédiens entrèrent, sommeillait une petite fille de huit à neuf ans, ou du moins qui ne paraissait avoir que cet âge, tant elle était maigre et chétive. Appuyée des épaules au dossier du banc, elle laissait choir sur sa poitrine sa tête d’où pleuvaient de longues mèches de cheveux emmêlés qui empêchaient de distinguer ses traits. Les nerfs de son col mince comme celui d’un oiseau plumé se tendaient et semblaient avoir de la peine à empêcher la masse chevelue de rouler à terre. Ses bras abandonnés pendaient de chaque côté du corps, les mains