Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
LE CAPITAINE FRACASSE.

d’épée, dessinaient leurs lignes rigides qui n’étaient pas précisément des nids d’amours. Une tignasse de cheveux noirs fort emmêlée pleuvait autour de cette physionomie bonne à sculpter sur un manche de violon et dont personne cependant n’avait envie de se moquer, tant l’expression en était inquiétante, narquoise et féroce.

« Que le Maulubec trousse l’animal qui me vient ainsi troubler en mes joies et patauger parmi mes rêves anacréontiques ! J’étais heureux ; la plus belle princesse de la terre m’accueillait gracieusement. Vous avez fait envoler mon songe.

— Trêve de billevesées, fit Mérindol avec impatience, prête-moi deux minutes ton ouïe et ton attention.

— Je n’écoute personne quand je suis gris, répondit majestueusement Jacquemin Lampourde en s’étayant sur le coude. D’ailleurs j’ai de l’argent, beaucoup d’argent. Nous avons cette nuit détroussé un mylord anglais tout cousu de pistoles, je suis en train de manger et de boire ma part. Mais avec un petit tour de lansquenet ce sera bientôt fini. À ce soir donc les affaires sérieuses. Trouvez-vous à minuit sur le terre-plein du Pont-Neuf, au pied du cheval de bronze. J’y serai, frais, limpide, alerte, jouissant de tous mes moyens. Nous accorderons nos flûtes et conviendrons des sommes, lesquelles doivent être considérables, car j’aime à croire qu’on ne dérange pas un brave comme moi pour des friponneries subalternes, des vols insignifiants ou autres menues pecca-