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LE RADIS COURONNÉ.

croyant qu’il allait l’assaillir et à tout le moins lui tirer la laine. Lampourde n’avait aucune intention de détrousser ce nigaud, qu’en sa rêverie distraite il ne voyait même point ; mais une idée triomphante venait de lui traverser la cervelle. Ses incertitudes étaient finies.

Il tira vivement un doublon de sa poche, le jeta en l’air après avoir dit : « Pile pour le cabaret, face pour le tripot ! »

La pièce pirouetta plusieurs fois, et, ramenée à terre par sa pesanteur, retomba sur un pavé, faisant luire sa paillette d’or sous le rayon d’argent qui s’échappait de la lune, en ce moment débarrassée de tout nuage. Le bretteur s’agenouilla pour déchiffrer l’oracle rendu par le hasard. La pièce avait répondu pile à la question posée. Bacchus l’emportait sur la Fortune.

« C’est bien, je me griserai », dit Lampourde en remettant le doublon, dont il essuya la boue, en son escarcelle profonde comme l’abîme, étant destinée à engloutir beaucoup de choses.

Et, faisant de grandes enjambées, il se dirigea vers le cabaret du Radis couronné, sanctuaire habituel de ses libations au dieu de la vigne. Le Radis couronné présentait à Lampourde cet avantage d’être situé à l’angle du Marché-Neuf, à deux pas de son logis qu’il regagnait en quelques zigzags lorsqu’il s’était mis du vin jusqu’au nœud de la gorge, à partir de la semelle de ses bottes.

C’était bien le plus abominable bouge qu’on pût