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LE RADIS COURONNÉ.

encore qu’elle fût solide à porter un beffroi, pareille en cela à la tour de Pise ou des Asinelli de Bologne qui penche toujours et ne tombe jamais. Les fumées des pipes et des chandelles avaient rendu le plafond aussi noir que l’intérieur des cheminées où l’on prépare les harengs-saurs, les boutargues et les jambons. Anciennement les murs avaient été peints d’une couleur rouge, encadrée de sarments et brindilles de vigne, par la brosse de quelque décorateur italien venu en France à la suite de Catherine de Médicis. La peinture s’était conservée dans le haut de la salle, quoique bien assombrie et ressemblant plus à des plaques de sang figé qu’à cette réjouissante teinte écarlate dont elle devait briller en sa fleur de nouveauté. L’humidité, le frottement des dos, la crasse des têtes qui s’y appuyaient en avaient gâté et détruit tout le bas, où le plâtre apparaissait sale, éraillé et nu. Jadis le cabaret avait été mieux hanté ; mais peu à peu, aux courtisans et aux capitaines, les mœurs devenant plus délicates, s’étaient substitués des brelandiers, des aigrefins, des coupe-bourses et des coupe-jarrets, toute une clientèle de truands hasardeux qui avaient donné leur empreinte horrible au bouge, et fait de la gaie taverne un repaire sinistre. Un escalier de bois conduisant à une galerie où s’ouvraient les portes de réduits si bas, qu’on n’y pénétrait qu’en rentrant les cornes et la tête comme un limaçon, occupait la paroi qui faisait face à l’entrée. Sous la cage de l’escalier, à l’ombre de la soupente, quelques futailles, les unes pleines, les autres en vidange, étaient disposées dans une symétrie