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LE CAPITAINE FRACASSE.

folle à cette nouvelle, pleura publiquement, et, au risque des plus dures rebuffades, parvint à forcer la consigne et à voir non pas le duc, trop bien gardé pour cela, mais le chevalier de Vidalinc, plus doux et pitoyable, lequel eut grand’peine à rassurer cette amante plus sensible qu’il ne fallait aux malheurs d’un ingrat.

Cependant, comme rien en ce globe terraqué et sublunaire ne peut rester caché, l’on sut de maître Bilot, qui le tenait de Jacques, le valet du marquis, présent à l’entretien de Sigognac et de son maître au souper de Zerbine, que le héros inconnu, vainqueur du jeune duc de Vallombreuse, était à n’en pas douter le capitaine Fracasse, ou pour mieux dire un baron engagé par amour dans la troupe ambulante d’Hérode. Quant au nom, Jacques l’avait oublié. C’était un nom qui finissait en gnac, désinence commune au pays de Gascogne, mais il était sûr de la qualité.

Cette histoire vraie, quoique romanesque, eut beaucoup de succès dans Poitiers. On s’intéressa à ce gentilhomme si brave et si bonne lame, et, quand au théâtre parut le capitaine Fracasse, des applaudissements prolongés témoignèrent, même avant qu’il eût ouvert la bouche, de la faveur qu’on lui portait. Des dames, parmi les plus grandes et les plus huppées, ne craignirent pas d’agiter leurs mouchoirs. Il y eut aussi pour Isabelle des claquements de mains plus sonores qu’à l’ordinaire qui faillirent embarrasser cette jeune personne et lui firent monter aux joues, sous le fard, le naturel incarnat de la pudeur. Sans interrompre