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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/160

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LES DÉLICATESSES DE LAMPOURDE.

Jacquemin Lampourde, du reste, ne semblait nullement décontenancé ; dès la porte il avait même fait un petit clin d’œil amical à Mérindol, et il se tenait à quelques pas du duc recevant en plein sur la figure la lumière des bougies qui faisaient ressortir les détails de son masque caractéristique. Son front, où la pression habituelle du feutre avait tracé une raie rougeâtre transversale, pareille à la cicatrice d’une blessure, montrait par des gouttes de sueur, qui n’étaient pas séchées encore, que le spadassin avait marché vite ou venait de se livrer à un exercice violent ; ses yeux, d’un gris bleuâtre mélangé de reflets métalliques, se fixaient sur ceux du jeune duc avec une impudence tranquille qui donnait le frisson à Mérindol. Quant à son nez, dont l’ombre lui couvrait toute une joue, comme l’ombre de l’Etna couvre une grande partie de la Sicile, ce promontoire de chair découpait grotesquement son profil étrange et monstrueux, doré sur la crête par un vif rayon de clarté qui le faisait reluire. Ses moustaches, poissées d’un cosmétique grossier, ressemblaient à une brochette dont on lui eût traversé la lèvre supérieure, et sa royale se retroussait comme une virgule mise à l’envers. Tout cela lui composait une physionomie la plus hétéroclite du monde, de celles que Jacques Callot aime à croquer de sa pointe originale et vive.

Son costume consistait en un pourpoint de buffle, des chausses grises et un manteau écarlate dont les galons d’or paraissaient avoir été récemment décousus, comme l’indiquaient des raies de couleur plus fraîche,