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MALARTIC À L’ŒUVRE.

d’herbe. Ils détalaient grand’erre et comme s’ils eussent eu les chiens aux trousses ; ce qui divertissait les comédiens. Plus loin, un chevreuil traversait la route tout effaré, et l’on pouvait suivre quelque temps de l’œil sa fuite à travers les arbres dénués de feuillage. Sigognac surtout s’intéressait à ces choses, ayant été élevé et nourri en la campagne. Cela le réjouissait de voir des champs, des buissons, des bois, des animaux en liberté, spectacle dont il était privé depuis qu’il habitait la ville, où l’on ne voit que maisons, rues boueuses, cheminées qui fument, l’œuvre des hommes, et non l’œuvre de Dieu. Il s’y serait fort ennuyé s’il n’avait eu la compagnie de cette douce femme, dont les yeux contenaient assez d’azur pour remplacer le ciel.

Au sortir du bois une petite côte à monter se présenta. Sigognac dit à Isabelle. « Chère âme, pendant que le coche gravira lentement cette pente, ne vous conviendrait-il point de descendre et de mettre votre bras sur le mien pour faire quelques pas ? Cela vous réchauffera les pieds et dégourdira les jambes. La route est unie, et il fait un joli temps d’hiver clair, frais et piquant, mais non trop froid. »

La jeune comédienne accepta l’offre de Sigognac, et, posant le bout de ses doigts sur la main qu’il lui présentait, elle sauta légèrement à terre. C’était un moyen d’accorder à son amant un innocent tête-à-tête que sa pudeur lui eût refusé dans la solitude d’une chambre fermée. Ils marchaient tantôt presque soulevés par leur amour, et rasant le sol comme des oi-