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ORTIES ET TOILES D’ARAIGNÉE.

un favorable présage, car l’expression de cette tête lui avait toujours paru mélancolique.

Enfin Sigognac entra dans sa chambre et posa la lampe sur la petite table où gisait encore le volume de Ronsard, qu’il lisait lorsque les comédiens vinrent frapper nuitamment à la porte du manoir. Le papier, couturé de ratures, brouillon d’un sonnet inachevé, était toujours à la même place. Le lit, qu’on n’avait pas refait, gardait moulée l’empreinte des dernières personnes qui s’y étaient reposées. Isabelle avait dormi là. Sa jolie tête s’était appuyée à cet oreiller, confident de bien des rêves !

À cette pensée, Sigognac se sentit le cœur voluptueusement torturé par une agréable douleur, si l’on peut joindre ensemble ces mots ennemis de nature. Son imagination se représentait avec vivacité les appas de cette adorable fille ; sa raison, d’une voix importune et chagrine, lui disait qu’Isabelle était à jamais perdue pour lui, et pourtant il lui semblait voir par l’effet d’une fantasmagorie amoureuse ce pur et charmant visage entre les plis des rideaux entr’ouverts comme celui d’une chaste épouse qui attend le retour de l’époux.

Pour en finir avec ces visions qui lui amollissaient le courage, il se déshabilla et se coucha, baisant la place autrefois occupée par Isabelle ; mais, malgré la fatigue, le sommeil fut long à venir, et ses yeux errèrent plus d’une heure autour de la chambre délabrée, tantôt suivant quelque bizarre reflet de lune sur les vitres dépolies, tantôt regardant avec une fixité in-