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LE CAPITAINE FRACASSE.

causait avec Tordgueule, et sur les marches de l’Hôtel de Ville se promenaient d’une façon péripatétique, causant de choses et d’autres, plusieurs habitués du Radis couronné. La place de Grève, où, tôt ou tard, ils doivent fatalement aboutir, exerce sur les meurtriers, les spadassins et les filous une fascination singulière. Cet endroit sinistre, au lieu de les repousser, les attire. Ils tournent autour traçant d’abord des cercles larges, ensuite plus étroits, jusqu’à ce qu’ils y tombent ; ils aiment à regarder le gibet où ils seront branchés ; ils en contemplent avidement la configuration horrible, et ils apprennent dans les grimaces des patients à se familiariser avec la mort ; effet bien contraire à l’idée de la justice, qui est d’effrayer les scélérats par l’aspect des tourments.

Ce qui explique en outre l’affluence de telles ribaudailles aux jours d’exécution, c’est que le protagoniste de la tragédie est toujours un parent, une connaissance, souvent un complice. On va voir pendre son cousin, rouer son ami de cœur, bouillir ce galant homme dont on passait la fausse monnaie. Manquer à cette fête serait une impolitesse. Pour un condamné, il est agréable d’avoir autour de son échafaud un public de figures connues. Cela soutient et ranime l’énergie. On ne veut pas être lâche devant des appréciateurs du vrai mérite, et l’orgueil vient au secours de la souffrance. Tel, ainsi entouré, meurt en Romain, qui ferait la femmelette s’il était dépêché incognito au fond d’une cave.

Sept heures sonnèrent. L’exécution devait avoir