Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/345

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
338
LE CAPITAINE FRACASSE.

et présente un spectacle aussi noble qu’attrayant.

— Oui, sans doute, mais cela passe trop vite, ce n’est qu’un éclair ; et puis la décapitation est réservée aux gentilshommes. Le billot est un de leurs privilèges. Parmi les supplices roturiers, la roue me paraît l’emporter sur la vulgaire pendaison, bonne tout au plus pour les malfaiteurs subalternes. Agostin est plus qu’un simple voleur. Il mérite mieux que la corde, et la justice a eu pour lui les égards qui lui sont dus.

— Tu as toujours eu un faible pour Agostin, sans doute à cause de Chiquita, dont la bizarrerie agaçait ton œil libertin ; je ne partage pas ton admiration à l’endroit de ce bandit, plus fait pour travailler sur les grands chemins et dans les gorges de montagne, comme un salteador, que pour opérer avec la délicatesse convenable au sein d’une ville civilisée. Il ignore les raffinements de l’art. Sa manière est bourrue, hagarde et provinciale. Au moindre obstacle il joue des couteaux et tue vaguement et sauvagement. Trancher le nœud gordien n’est pas le dénouer, quoi qu’en dise Alexandre. En outre, il n’emploie pas l’épée ; ce qui manque de noblesse.

— La spécialité d’Agostin est la navaja, l’outil de son pays ; il n’a point comme nous ébranlé, pendant des années, le carreau des salles d’armes. Mais son genre a de l’imprévu, de la hardiesse, de l’originalité. Son coup lancé réunit l’agrément de la balistique à la sûreté discrète de l’arme blanche. Le sujet est atteint, à vingt pas, sans bruit. Je regrette fort que sa