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DÉCLARATION D’AMOUR DE CHIQUITA.

qui ignore mon voyage et votre arrivée ; j’ai ménagé ce coup de théâtre dont j’espère le meilleur effet. Abaissez le mantelet de votre côté pour qu’on ne vous voie pas, que la surprise soit complète ; mais qu’allons-nous faire de ce petit démon ?

— Ordonnez, dit Chiquita, qui, à travers sa rêverie profonde, avait entendu la phrase de Vallombreuse, ordonnez qu’on me conduise à madame Isabelle ; qu’elle soit l’arbitre de mon sort. »

Rideaux baissés, le carrosse entra dans la cour d’honneur : Vallombreuse prit Sigognac sous le bras et l’emmena dans son appartement, après avoir dit à un laquais de conduire Chiquita chez la comtesse de Lineuil.

À la vue de Chiquita, Isabelle posa le livre qu’elle était en train de lire et arrêta sur la jeune fille un regard plein d’interrogations.

Chiquita resta immobile et silencieuse jusqu’à ce que le laquais fût retiré. Alors, avec une sorte de solennité singulière, elle s’avança vers Isabelle, lui prit la main et dit :

« Le couteau est dans le cœur d’Agostin ; je n’ai plus de maître, et je sens le besoin de me dévouer à quelqu’un. Après lui, qui est mort, c’est toi que j’aime le plus au monde ; tu m’as donné le collier de perles et tu m’as embrassée. Veux-tu de moi pour esclave, pour chien, pour gnome ? Fais-moi donner un haillon noir pour porter le deuil de mon amour ; je coucherai en travers sur le seuil de ta porte ; cela ne te gênera pas du tout. Quand tu me voudras, tu siffleras