Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
29
UNE TÊTE DANS UNE LUCARNE.

noncer s’envolaient effarés, tumultueux, se heurtant et s’enchevêtrant comme des oiseaux qui fuient de leur cage ouverte. Sang-froid, contenance, mémoire, tout était parti à la fois. On eût dit qu’un foudre invisible l’avait frappé, et peu s’en fallut qu’il ne tombât mort, le nez sur les chandelles. Il venait d’apercevoir Yolande de Foix, tranquille et radieuse en sa loge qui fixait sur lui ses beaux yeux pers !

Ô honte ! ô rage ! ô mauvais tour du sort ! ô contretemps par trop fâcheux pour une âme noble ! être vu, sous un accoutrement grotesque en cette fonction indigne et basse de divertir la canaille avec des grimaces par une dame si hautaine, si arrogante, si dédaigneuse devant qui pour l’humilier et lui rabattre la superbe on n’eût voulu faire qu’actions magnanimes, héroïques, surhumaines ! Et ne pouvoir se dérober, disparaître, s’engloutir dans les entrailles de la terre ! Sigognac eut un instant l’idée de s’enfuir, de s’élancer par la toile du fond en y faisant un trou avec sa tête comme avec une baliste ; mais il avait aux pieds ces semelles de plomb dont on prétend qu’usent certains coureurs en leurs exercices pour être plus légers ensuite ; il ne pouvait se détacher du plancher et il restait là éperdu, béant, stupide, au grand étonnement de Scapin, qui, s’imaginant que le capitaine Fracasse manquait de mémoire, lui soufflait, à voix basse, les premiers mots de la tirade.

Le public crut que l’acteur, avant de commencer, désirait une seconde salve d’applaudissements, et il se mit à battre des mains, à trépigner, à faire le plus