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LE CHÂTEAU DU BONHEUR.

mant pas, en chaste monarque qu’il était, les jeunesses audacieuses et débordées. Vallombreuse s’était notoirement amendé à la fréquentation de son beau-frère, et le prince en ressentait beaucoup de joie. Les jeunes époux menaient donc une charmante vie, toujours plus amoureux l’un de l’autre et n’éprouvant pas cette satiété du bonheur qui gâte les plus belles existences. Cependant, depuis quelque temps, Isabelle semblait animée d’une activité mystérieuse. Elle avait des conférences secrètes avec son intendant ; un architecte venait la voir qui lui soumettait des plans ; des sculpteurs et des peintres avaient reçu d’elle des ordres et étaient partis pour une destination inconnue. Tout cela se faisait en cachette de Sigognac, de complicité avec Vallombreuse, qui paraissait savoir le mot de l’énigme.

Un beau matin, après quelques mois écoulés nécessaires sans doute à l’accomplissement de son projet, Isabelle dit à Sigognac, comme si une idée subite lui eût traversé la fantaisie : « Mon cher seigneur, ne pensez-vous jamais à votre pauvre castel de Sigognac, et n’avez-vous pas envie de revoir le berceau de nos amours ?

— Je ne suis pas si ingrat, et j’y ai plus d’une fois songé ; mais je n’ai point osé vous engager à ce voyage, ne sachant pas s’il serait de votre goût. Je ne me serais pas permis de vous arracher aux délices de la cour dont vous êtes l’ornement, pour vous conduire à ce château lézardé, séjour des rats et des hiboux, lequel je préfère pourtant aux plus riches palais, comme étant la séculaire habitation de mes ancêtres et le lieu