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UNE TÊTE DANS UNE LUCARNE.

extrême où elle pouvait aller ; il jetait à ses pieds dignité, noblesse, respect de soi, souvenir des ancêtres ; et il trépignait dessus avec une joie délirante et féroce ! « Tu dois être contente, Fortune adverse, je suis assez humilié, assez profondément enfoncé dans l’abjection, pensait-il tout en recevant les nasardes, croquignoles et coups de pied ; tu m’avais fait misérable ! tu me rends ridicule ! tu me forces par un lâche tour à me déshonorer devant cette fière personne ! Que te faut-il de plus ? »

Parfois la colère le prenait et il se redressait sous le bâton de Léandre d’un air si formidable et dangereux que celui-ci reculait de peur ; mais, revenant par un brusque soubresaut à l’esprit de son rôle, il tremblait de tout son corps, claquait des dents, flageolait sur ses jambes, bégayait et donnait, au grand plaisir des spectateurs, tous les signes de la plus lâche poltronnerie.

Ces extravagances, qui eussent paru ridicules dans un rôle moins chargé que celui de Matamore, étaient attribuées par le public à la verve de l’acteur tout à fait entré dans la peau du personnage, et ne laissaient pas que de produire un bon effet. Isabelle seule avait deviné ce qui causait le trouble du Baron : la présence dans la salle de cette insolente chasseresse dont les traits ne lui étaient que trop restés dans la mémoire. Tout en jouant son rôle, elle tournait à la dérobade les yeux vers la loge où trônait, avec l’orgueil dédaigneux et tranquille d’une perfection sûre d’elle-même, l’altière beauté que, dans son humilité, elle n’osait ap-