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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/64

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LE PONT-NEUF

admiration respectueuse ; les beaux sentiments de cette charmante fille le touchaient autant que les attraits dont elle était abondamment pourvue, et il regrettait que par excès de délicatesse elle l’eût refusé pour mari.

Le souper fini, les femmes se retirèrent, ainsi que Léandre et le Baron, laissant le trio d’ivrognes émérites achever les bouteilles en vidange, procédé qui sembla trop soigneux au laquais chargé de servir à boire, mais dont une pièce blanche de bonne main le consola.

« Barricadez-vous bien dans votre réduit, dit Sigognac en reconduisant Isabelle jusqu’à la porte de sa chambre ; il y a tant de gens en ces hôtelleries, qu’on ne saurait trop prendre de sûretés.

— Ne craignez rien, cher Baron, répondit la jeune comédienne, ma porte ferme par une serrure à trois tours qui pourrait clore une prison. Il y a de plus un verrou long comme mon bras ; la fenêtre est grillée, et nul œil-de-bœuf n’ouvre au mur sa prunelle sombre. Les voyageurs ont souvent des objets qui pourraient tenter la cupidité des larrons, et leurs logements doivent être clos, de façon hermétique. Jamais princesse de conte de fée menacée d’un sort n’aura été plus en sûreté dans sa tour gardée par des dragons.

— Parfois, répliqua Sigognac, tous les enchantements sont vains et l’ennemi pénètre en la place malgré les phylactères, les tétragrammes et les abracadabras.

— C’est que la princesse, reprit Isabelle en sou-