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LE CAPITAINE FRACASSE.

entendait vaguement bruire autour de lui ce murmure sourd d’une grande ville qui, de même que l’Océan, ne se tait jamais alors même qu’elle semble reposer. C’était le pas d’un cheval, le roulement d’un carrosse s’éteignant dans le lointain ; quelque chanson d’ivrogne attardé, quelque cliquetis de rapières froissées l’une contre l’autre, un cri de passant assailli par les tire-laines du Pont-Neuf, un hurlement de chien perdu ou toute autre rumeur indistincte. Parmi ces bruits, Sigognac crut distinguer dans le corridor un pas d’homme botté marchant avec précaution comme s’il ne voulait pas être entendu. Il éteignit la lumière pour que le rayon ne le décelât point, et, entr’ouvrant sa porte, il vit dans les profondeurs du couloir un individu soigneusement embossé d’une cape de couleur sombre, qui se dirigeait vers la chambre du premier voyageur, dont la tournure lui avait paru suspecte. Quelques instants après, un autre compagnon, dont la chaussure craquait, bien qu’il s’efforçât de rendre sa démarche légère, prit le même chemin que le premier. Une demi-heure ne s’était pas écoulée qu’un troisième gaillard d’une mine assez truculente apparut sous le reflet douteux de la lanterne près de s’éteindre et s’engagea dans le couloir. Il était armé comme les deux autres, et un long estoc relevait par derrière le bord de sa cape. L’ombre qui projetait sur son visage le bord d’un feutre à plume noire ne permettait pas d’en distinguer les traits.

Cette procession d’escogriffes sembla par trop intempestive et bizarre à Sigognac, et ce nombre de