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LE CAPITAINE FRACASSE.

vaux, eût pu éviter ce passant qu’il semblait poursuivre. Les glaces de ce carrosse étaient levées, et les rideaux intérieurs abaissés ; mais qui les eût écartés eût vu un seigneur magnifiquement habillé, dont une bande de taffetas noir plié en écharpe soutenait le bras. Malgré le reflet rouge des rideaux fermés, il était pâle, et les arcs minces de ses sourcils noirs se dessinaient dans une mate blancheur. De ses dents, plus pures que des perles, il mordait jusqu’au sang sa lèvre inférieure, et sa moustache fine, roidie par des cosmétiques, se hérissait avec des contractions fébriles comme celle du tigre flairant sa proie. Il était parfaitement beau, mais sa physionomie avait une telle expression de cruauté qu’elle eût plutôt inspiré l’effroi que l’amour, du moins en ce moment, où des passions haineuses et mauvaises la décomposaient. À ce portrait, esquissé en soulevant le rideau d’une voiture qui passe à toute vitesse, on a sans doute reconnu le jeune duc de Vallombreuse.

« Encore ce coup manqué, dit-il, pendant que le carrosse l’emportait le long des Tuileries vers la porte de la Conférence. J’avais pourtant promis à mon cocher vingt-cinq louis, s’il était assez adroit pour accrocher ce damné Sigognac et le rouer contre une borne comme par accident. Décidément mon étoile pâlit ; ce petit hobereau de campagne l’emporte sur moi. Isabelle l’adore et me déteste. Il a battu mes estafiers, il m’a blessé moi-même. Fût-il invulnérable et protégé par quelque amulette, il faut qu’il meure, ou j’y perdrai mon nom et mon titre de duc.