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LE PONT-NEUF.

qu’un œil à la fois, encore ne fallait-il pas que cet œil ressemblât à celui de Junon, qu’Homère appelle Βοῶπις et mille autres brimborions fastidieux à décrire.

En face de la cheminée, sur un pan de muraille moins humide que les autres et tendu d’ailleurs d’un lambeau de serge verte, rayonnait un faisceau d’épées soigneusement fourbies, d’une trempe à l’épreuve et portant sur leur acier la marque des plus célèbres armuriers d’Espagne et d’Italie. Il y avait là des lames à deux tranchants, des lames triangulaires, des lames évidées au milieu pour laisser égoutter le sang ; des dagues à large coquille, des coutelas, des poignards, des stylets et autres armes de prix dont la richesse faisait un singulier contraste avec le délabrement du bouge. Pas une tache de rouille, pas un grain de poussière ne les souillaient, c’étaient les outils du tueur, et dans un arsenal princier ils n’eussent pas été mieux entretenus, frottés d’huile, épongés de laine et conservés en leur état primitif. On eût dit qu’ils sortaient tout frais émoulus de la boutique. Lampourde, si négligent pour le reste, y mettait son amour-propre et sa curiosité. Cette recherche, quand on pensait au métier qu’il faisait, prenait un caractère horrible, et sur ces fers si bien polis, des reflets rouges semblaient flamboyer.

De sièges, il n’y en avait point, et l’on était libre de se tenir debout pour grandir, à moins qu’on ne préférât, si l’on ne voulait ménager la semelle de ses souliers, s’asseoir sur un vieux panier défoncé, une malle, ou un étui de luth qui traînait dans un coin.