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les cruautés de l’amour

révélée à moi-même. Oui, je t’aime, André, et je t’aimerai toute ma vie.

— Je rêve, n’est-ce pas ? balbutia André, je suis fou, j’ai le délire encore.

— Regarde, dit-elle, j’ai au doigt ton anneau de fiançailles ; ce gage, vois-tu, possède un mystérieux pouvoir. Depuis que tu me l’as donné, je suis liée à toi ; c’est le premier anneau d’une chaîne éternelle, c’est le symbole d’un engagement sacré que je tiendrai. Je serai ta femme.

André secoua la tête tristement.

— Vous êtes bonne d’avoir gardé cet anneau, mais vous savez bien qu’il ne vous engageait pas, dit-il. Je devine quel sentiment plein de délicatesse et d’abnégation vous pousse à me parler comme vous venez de le faire, mais vous savez bien que je n’accepterai pas ce que vous venez de m’offrir. Voyez donc comme votre main est fine et blanche ; regardez-la auprès de la mienne ; ne dirait-on pas un morceau de pain blanc à côté d’un morceau de pain bis ? Ces deux pains-là ne peuvent pas se rencontrer sur la même table. Je vous aimerai toujours ; mais, ne craignez rien, je n’essaierai plus de me tuer.

— Ah ! je n’avais pas prévu ceci ! s’écria Clélia hors d’elle-même. Un paysan qui refuse d’épouser une comtesse ! C’est comme cela que tu m’aimes ? Est-ce que l’amour raisonne ? Est-ce que j’ai rai-