Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/288

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rasant de son ongle étincelant l’ivoire poli du clavier ; mais le pétillement des notes et la vibration des cordes la rendaient nerveuse. Elle ferma le piano et se leva.

Un de ses bracelets trop large lui glissait sur la main et la gênait. Elle prit son coffre à bijoux pour en choisir un autre ; en remettant le coffre à sa place, ses yeux tombèrent sur la cassette où étaient renfermées les lettres que lui avait écrites Benedict au temps de leurs amours.

Ce jour-là se trouvait être précisément l’anniversaire du mariage si bizarrement interrompu à l’église de Sainte-Margareth.

Cette date, qui revint à la mémoire de miss Amabel à la vue de la cassette, la fit soupirer, et l’esprit mû d’une fantaisie mélancolique, elle tira une lettre de la liasse, et, debout près de la cheminée, car ses épaules décolletées et ses bras nus la rendaient frileuse, elle se mit à lire.

« Chère Amabel, disait la lettre écrite pendant une courte absence, comment vais-je vivre ces trois jours qu’il me faut passer loin de vous, moi qui suis accoutumé à votre douce présence, moi qui vois tous les soirs briller votre âme dans vos yeux et votre esprit sur votre sourire ? La seule chose qui puisse me faire supporter cette séparation est l’idée que bientôt rien ne pourra plus nous désunir, et que nos existences couleront comme deux flots qui se confondent. »

Cette lecture plongea miss Amabel dans une rêverie profonde.

À quoi bon garder, se dit-elle, ces témoignages