Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/104

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vrai que l’esprit humain est essentiellement progressif.

Théophile, ayant été rappelé, ne se possédait pas de joie, et, dans son enivrement, il rima cette petite pièce de vers assez innocente, selon nous, mais qui semble une monstruosité au révérend Père Garassus :


Mon frère, je me porte bien,
Ma muse n’a souci de rien ;
J’ay perdu cette humeur profane,
On me souffre au coucher du roi,
Et Phœbus tous les jours chez moi
A des manteaux doubles de pane.

Mon âme incague les destins,
Je fais tous les jours des festins ;
On va me tapisser ma chambre ;
Tous mes jours sont des mardy-gras,
Et je ne bois point d’hypocras
S’il n’est fait avec de l’ambre.


Il trouve dans cette expression incague les destins, et dans une strophe de l’ode au roi Louis XIII, où Théophile se compare à Job, une preuve irrécusable d’athéisme, et vomit contre lui, à ce propos, un torrent d’injures qui seraient très-plaisantes, surtout dans la bouche d’un théologien, si l’on ne songeait qu’elles ont manqué être cause de la mort du pauvre poète. — Le frère auquel il s’adresse se nommait Paul ; il le remercie dans plusieurs endroits, de sa bonne amitié et de tous les secours qu’il lui a fait passer pendant sa prison.

Nous avons dit que Théophile était huguenot, et même que c’était là un des motifs pourquoi on le persécutait. — Non que ce fût un huguenot fougueux et intolérant, car