Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je verrai l’eau qui les abreuve,
Et j’orrai plaindre les graviers
Et repartir l’écho du fleuve
Aux injures des mariniers.

Je cueillerai ces abricots,
Ces fraises à couleur de flammes,
Où nos bergers font des écots
Qui seroient ici bons aux dames ;
Et ces figues et ces melons,
Dont la bouche des aquilons
N’a jamais su baiser l’écorce,
Et ces jaunes muscats si chers,
Que jamais la gresle ne force
Dans l’asyle de nos rochers.

Je verrai sur nos grenadiers
Leurs rouges pommes entr’ouvertes,
Où le ciel, comme à ses lauriers,
Garde toujours des feuilles vertes.
Je verrai ce touffu jasmin
Qui fait ombre à tout le chemin
Et le parfume d’une fleur
Qui conserve dans la gelée
Son odorat et sa couleur.


On chercherait en vain dans la poésie éthique et décharnée de Malherbe quelque chose qui approchât de cet vivacité, de cette nouveauté, de ce nombre, et même de cette correction ; les vers pour la vicomtesse d’Auchy et les sonnets sur Fontainebleau sont d’une sécheresse et d’une aridité inconcevable ; et pourtant c’était là, ou jamais, qu’il fallait mettre de la passion et de la couleur. Il y en a plus dans la moindre pièce de Théophile que dans tout son volume, qui heureusement n’est pas gros ; car Dieu permet, par une grâce toute spéciale que ceux