Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/173

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Dessus les champs brûlée en gerbe,
Des miracles se font chez moi,
Et que maint ouvrage superbe
Y prétend aux lèvres d’un roy.


Il est de toute évidence que Saint-Amant n’était pas un ouvrier verrier, mais qu’il dirigeait une grande et belle manufacture dont les produits étaient assez parfaits pour fournir les maisons royales. Au reste, il n’eût pas dérogé en soufflant lui-même le verre : c’était la ressource de beaucoup de pauvres gentilshommes ruinés. — Ce métier n’était point regardé comme dégradant et n’ôtait pas le droit de porter l’épée : exposant ceux qui le pratiquaient à une mort presque certaine, à cause de l’air embrasé des fourneaux, il n’était point abaissé au rang des professions pacifiques et viles, car il fallait du courage pour s’y dévouer, et le courage, en France, a toujours été considéré comme la vraie et naïve marque de noblesse.

Son père, officier de marine fort distingué, servit vingt-deux ans la reine Elisabeth, et resta trois ans prisonnier dans la Tour-Noire, à Constantinople, et ses deux frères, dont l’un servait le grand Gustave, furent tués en combattant contre les Turcs ; lui-même fut longtemps attaché au comte d’Harcourt, cadet de la maison de Lorraine, qu’il suivit à la Rochelle, en Savoie, en Sardaigne, à Gibraltar, où il se conduisit non pas en poète, mais en brave, ou plutôt en brave et en poète, car il a fait sur ce sujet une de ses meilleures pièces qui a de singuliers rapports avec les pièces de Canaris et de Navarin de Victor Hugo, et surtout avec la Sérieuse de M. de Vigny, coïncidence fortuite sans aucun doute. — Il était gentilhomme ordi-