Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/194

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l’heure échappée de quelque clocher. — C’est un poète. — Voulez-vous savoir comme un poète était habillé en ce temps-là ? Un feutre noir tout blanc à force d’avoir servi, entouré d’un cordon de graisse et ombragé d’une plume de coq, lui couvre le chef ; son pourpoint montre les dents à tout le monde et rit par toutes les coutures ; si vous voulez souhaiter une longue vie à quelqu’un, souhaitez-lui de durer autant, il vivra les jours de Mathusalem ; un rocquet de bourracan rouge l’affuble en toute saison, hiver comme été ; une étroite jarretière faite d’un lambeau de frise lui enzodiaque le jupon et lui tient lieu d’écharpe ; un fleuret y est pendu en guise d’épée, et s’en va creusant le pavé derrière lui comme un soc de charrue ; pour pétrir la boue il chausse à cru de vieilles bottes, l’une en pêcheur d’huîtres, très-grande et de cuir noir, l’autre à genouillière en cuir blanc de Russie, l’une à bout pointu et plat, l’autre à pont-levis tortu ; il a le talon gauche ergoté d’un petit éperon à l’anglaise ; quant au pied droit, il n’y porte rien, qu’une ficelle, à peu près comme Gringoire dans Notre-Dame de Paris, afin de retenir la semelle prête à quitter à tous coups la plante de son pied ; pour ses grègues, elles sont d’un faux satin jaune, trop longues d’un côté, trop courtes de l’autre ; c’est le reste d’un ballet dansé qu’un galant lui a donné jadis avec un quart d’écu pour avoir fait l’anagramme de la princesse dont il était coiffé. Assurément c’est là un assez piteux équipage, et il faut croire, pour l’honneur de la poésie, que les couleurs du tableau sont un peu chargées ; — néanmoins la caricature est excellente et provoque un rire involontaire comme les figures grima-