Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/270

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destie et un désintéressement admirables. Le cardinal, qui, ainsi que chacun le sait, avait de grandes prétentions au bel esprit et s’occupait particulièrement de littérature, se plaisait beaucoup à l’entretien de Chapelain, et un jour celui-ci, dans une discussion sur l’art dramatique, ayant parlé de la fameuse règle des trois unités, parfaitement ignorée alors, non-seulement du cardinal-duc, mais même des gens du métier, il dit tant de belles choses sur ce propos, et donna des raisons si justes et si pertinentes, que le cardinal, émerveillé et ravi, lui accorda une pension de mille écus et lui octroya pleine autorité sur le troupeau de poètes qu’il avait à ses gages.

Il ne se fit plus une pièce de théâtre, un madrigal ou un sonnet, sur quoi l’on ne voulût avoir son avis. — Ces vers de Godeau, évêque de Vence, en font foi :


Illustre Chapelain dans cette solitude
Où je goûte en repos les plaisirs de l’étude,
Je songe tous les jours au trouble infortuné
Où pour être trop franc tu t’es abandonné,
Et je souhaiterois pour ta savante muse
Un calme égal au mien, dont peut-être j’abuse


Et plus loin :


Le grand bruit de ton nom te trouble et t’incommode :
L’un t’apporte un sonnet, l’autre t’apporte une ode.


Il était l’oracle de l’hôtel Rambouillet. Racine lui-même, étant fort jeune encore, la vint consulter sur l’ode de la Nymphe de la Seine, qu’il fit à l’occasion du mariage du roi. Chapelain releva obligeamment quelques