Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et vantés outre mesure, entretenaient la cour et la ville dans une respectueuse admiration ; et il est certain que, si la Pucelle n’eût point paru, Chapelain, dont le nom est si décrié, aurait gardé sur le Parnasse la haute place qu’il y occupait. — C’est un sort singulier que le sien. — Il a joui de la plus immense gloire inédite, et a eu le talent de persuader à tout le monde qu’il était effectivement un fort grand poète. Cette conviction était tellement ancrée dans les esprits, que plusieurs hommes doctes et recommandables ne furent pas même désabusés par la lecture de la Pucelle. Jamais écrivain n’a été si loué, si exalté, tant en prose qu’en vers, et il ne faut pas croire que ce fut par des grimauds. — M. le duc de Montansier, l’original du Misanthrope, a fait à sa louange deux sonnets et une ode ; madame la princesse de Guéménée s’est aussi mise sur les rangs ; monseigneur Godeau, évêque de Vence, monseigneur Huet, évêque d’Avranches, l’ont chanté en latin et en français ; de Balzac l’exalte en plusieurs endroits ; Sarrazin, Ménage, Vaugelas, Lancelot, le comte d’Etlan, Maynard, Chardin, Tallemant des Réaux et tout ce qu’il y avait de plus estimé alors dans la république des lettres, en ont parlé le plus favorablement du monde ; le fier Corneille lui-même, en des vers latins qu’il a faits, s’écrie d’un ton d’humilité chagrine et découragée :


Sed neque Godæis accedat musa tropœis,
Nec Capellanum fas mihi velle sequi,


Et que l’on ne croie pas que ces vers soient ironiques ou exagérés ; ils sont les plus exacts et les plus sérieux du monde.