Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/301

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la France), et cette circonstance inexplicable du cœur qu’on retrouva intact au milieu des cendres, et ce bourreau qui se prend de désespoir et devient fou en pensant que Dieu ne lui pourra jamais pardonner d’avoir mis à mort sa plus belle créature, quoiqu’il y fut forcé : que de merveilles dans cette vie si courte et si pleine ! On croirait plutôt lire une légende qu’une chronique. — Il y a là-dedans la matière de tout un romancero. — Eh bien ! avec un si magnifique sujet, une héroïne véritable qui laisse de bien loin derrière elle la Camille de Virgile, les Bradamante, les Marphise, les Clorinde et toutes les belles guerrières des épopées italiennes, Chapelain n’a pu faire qu’une lourde gazette rimée, ennuyeuse comme la vie ; Voltaire, qu’une infâme priapée, abominable comme intention et d’une médiocrité singulière, même dans ce misérable genre. — Pauvre Jeanne d’Arc ! les Anglais t’ont fait brûler seulement et ne t’ont pas violée.

Il ne nous reste plus guère à dire maintenant autre chose, sinon que Chapelain est mort ; ce qui n’est une nouvelle pour personne. — Les Ana donnent une cause singulière à cette mort. — Ils prétendent que Chapelain, se rendant à l’Académie, fut surpris en chemin par une averse si grande que les chiens altérés pouvaient boire debout et que les ruisseaux débordés étaient devenus de vraies rivières qu’il fallait traverser sur des planchettes disposées en manière de pont. Mais pour passer sur ces planches on payait un sou alors comme aujourd’hui, et Chapelain, qui était, prétend-on, d’une avarice sordide, pour épargner le bienheureux sou, passa bravement le ruisseau à gué, ayant de l’eau jusqu’à mi-jambe. — Puis