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Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/334

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peine le charme et emmène le prince goth malgré lui. Des ombres d’assassins ont l’air de percer de coups une ombre d’Amalazonthe : c’est une illusion diabolique produite par Rigilde et qui s’évanouit bientôt. Voilà le dualisme, la lutte du poème. Rigilde tire Alaric d’un côté, le prélat d’Upsal le tire de l’autre, car il y a un mythe dans ce susdit poème, ni plus ni moins que dans un roman de madame Sand. Alaric est l’âme de l’homme ; l’enchantement où il tombe, comme Ulysse dans l’île de Calypso, est une allégorie de la faiblesse des hommes, même des plus forts, qui, sans le secours de la grâce, tombent en des erreurs étranges, et qui, par ce puissant secours, s’en relèvent et s’en dégagent après. Par le magicien qui le persécute, il faut entendre les obstacles que les démons mettent toujours aux bons desseins ; par la belle Amalazonthe, la puissante tentation de la volupté ; par ce grand nombre d’ennemis qui le combattent, le monde, qui est un des trois que l’âme chrétienne a en tête, selon le témoignage de l’Écriture et des Pères ; par l’invincible résistance de ce héros, la liberté du franc-arbitre ; par les continuelles malices des démons, la guerre continuelle qu’ils font à l’âme ; par la prise de Rome et par le triomphe de ce prince, la victoire de la raison sur les sens, sur l’enfer et sur le monde, et les immortelles couronnes que Dieu donne à la vertu.

Malgré tout cela, le poème ne laisse pas que d’être fort ennuyeux, à le prendre comme poème. Comme couleur et comme détails, il renferme nombre de choses curieuses. — Il représente beaucoup plus exactement l’époque où il a été composé qu’aucun des ouvrages qui lui sont supé-