Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/34

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ce que la fantaisie la plus flottante peut avoir de caprices, vous le trouverez dans les deux testaments de Villon ; car il y en a deux, un petit et un grand. Mais le côté par lequel les deux poëtes jetés, l’un en bas de l’échelle, l’autre en haut, se ressemblent le plus, c’est le désenchantement amer de la vie, le coup d’œil morne et profond sur les choses du monde, le regret du passé, le sentiment du beau et du bon au fond de leur dégradation apparente, la perte de toute illusion et la mélancolie désespérée qui en résulte. — Villon, à cause de ses habitudes de vie ignoble, se plaint moins élégamment que le fashionable rival de Brummel ; mais son cri de douleur, pour n’être pas modulé avec autant d’art, n’en est pas moins vrai et déchirant.


En l’an de mon trentiesme aage
Que toutes mes hontes j’eu beues,
Ne du tout fol[1], encor ne sage,
Nonobstant maintes peines eues,
Lesquelles j’ai toutes reçeues
Sous la main Thibault d’Aussigny.
............


(Par ce passage nous obtenons la date exacte de la naissance de Villon ; il naquit en 1431, le Testament ayant été composé en 1461.)


Je suis pescheur, je le sçais bien,
Pourtant ne veult pas Dieu ma mort ;
Mais convertisse et vive en bien,
Et tout autre que pesché mord[2],

  1. Ni tout à fait fou, ni tout à fait sage encore.
  2. Différent de ceux que le péché mord et tient entre les griffes.