Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/395

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de Ronscars pour castagnettes. — Voilà dix ans que la Parque lui a tordu le cou sans pouvoir l’étrangler. À le voir ses bras tors et pétrifiés sur ses hanches, on prendrait son corps pour un gibet, où le diable a pendu une âme. Et quelle âme ! plus laide que le corps ! Ce monstre difforme, qui reste sur la terre pour être un exemple continuel de la vengeance de Dieu, a osé vomir sa bave et son venin sur la pourpre d’un prince de l’Église, qui, sous les auspices de Louis, conduit si heureusement le premier État de la chrétienté. La vue d’un chapeau écarlate le fait entrer en fureur, comme un bœuf ou un coq d’Inde, et même il n’a pas voulu entendre un sonnet assez doux de Cyrano, et a forcé la personne qui l’avait déplié à le remettre dans sa poche. — Certes, l’on ne peut douter que Cyrano de Bergerac ne professât une grande admiration pour le cardinal Mazarin et ne lui fût tout dévoué ; cependant le certain petit sonnet assez doux, qui a dû sembler fade à un homme poivré, entre pour quelque chose dans toute cette colère.

Scarron, du reste, n’avait pas la chance pour les dédicaces. Son père, qui était un homme d’humeur assez singulière, une espèce de philosophe cynique, bizarre et fantasque dans sa conduite, eut l’imprudence de se mettre d’une partie faite entre des conseillers pour traverser quelques desseins que le cardinal-duc Armand de Richelieu avait fort à cœur : la robe rouge ne badinait pas en fait d’incartades politiques, et pourtant elle montra une clémence relative en se contentant d’exiler en Touraine le conseiller Scarron. Heureusement le bonhomme avait du bien près d’Amboise ; il s’y retira et s’y tint tranquille.