Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/399

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aujourd’hui d’une bassesse abjecte, n’avilissaient pas plus les gens qui les employaient que les formules de prostration dont on se sert maintenant encore au bas des lettres. Et puis, il ne faut pas oublier qu’alors les gens nobles et les gens titrés étaient considérés comme une espèce supérieure, comme des déités visibles auxquelles il n’était pas plus humiliant de demander des grâces qu’à Dieu lui-même, tant était grande la distance qui séparait le protecteur du protégé. Sans doute, la dignité humaine semble avoir gagné à la fierté qu’affichent aujourd’hui les écrivains : leurs livres ne sont plus précédés de ces épîtres à deux genoux où l’auteur élève au-dessus du Mæcenas antique un grand seigneur ignare, dans l’espoir d’un régal de quelques écus ; mais aussi ils ne fréquentent plus le grand monde et ne vivent plus dans la familiarité des princes et des gens de qualité. Réduits à leurs propres ressources, ils sont contraints à un travail incessant et manquent presque tous de loisir, — le loisir, cette dixième muse, et la plus inspiratrice ! — s’ils ne sacrifient pas leur orgueil, il faut qu’ils sacrifient leur art. L’honneur de l’homme est sauf, mais la gloire du poète périclite.

Scarron, bien qu’il se prétendît logé à l’hôtel de l’impécuniosité, habitait réellement une assez jolie maison ; il avait une chambre à coucher tendue de damas jaune, avec un ameublement de six mille livres ; il portait des habits de velours, faisait une chère délicate, avait plusieurs domestiques, et menait un train assez considérable. La pension qu’il touchait de la reine, celle que lui servait son père, son bénéfice et l’argent que lui rappor-