Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/404

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que de son amour-propre, et il était son seul mystificateur, car comment avait-il osé croire un instant, dans l’état où il était, avoir pu inspirer une passion, un caprice, à une femme ? Il est vrai qu’il comptait sur les agréments de son esprit et sur sa réputation littéraire, qui était grande, pour couvrir les défauts de sa personne. Les poètes disgraciés et contrefaits sont toujours prêts à trouver vraisemblable le baiser de la reine qui descendit sur la bouche d’Alain Chartier endormi, bien qu’il fût d’une laideur exemplaire ; sans doute aussi notre poète était assez desséché pour prendre feu facilement, — qu’on nous passe cette mauvaise pointe, qu’il ne se serait pas refusé le plaisir de faire, malgré l’horreur que, selon Cyrano de Bergerac, Scarron professait pour les pointes.

Ce n’est pas à la vanité, mais à la seule bonté de son cœur qu’il faut attribuer l’action suivante. — Ayant appris qu’une certaine mademoiselle Céleste de Palaiseau, qu’il avait aimée avant qu’il fût malade, se trouvait dans un état voisin de l’indigence, il la retira chez lui, et s’agita de telle sorte qu’il lui fit obtenir le prieuré d’Argenteuil, qui était de deux mille livres ; cette pauvre fille n’avait pas vu le jour sous une étoile heureuse, car elle eut l’imprudence et la faiblesse de résigner son prieuré à une personne qui la laissa à la lettre mourir de misère.

Pour en finir avec les détails biographiques, arrivons à l’époque où Scarron fit la connaissance de mademoiselle d’Aubigné, qui devint plus tard sa femme, et dans la suite reine de France sous le titre de madame de Maintenon. Si jamais existence fut aventureuse et accidentée, c’est assurément celle de mademoiselle d’Aubigné. Elle