Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/409

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tranges rêves et douter de sa propre identité. Il ne serait pas étonnant que madame de Maintenon eût regretté du haut de sa grandeur le logis si joyeux, si gai et si libre de Scarron, et les jours où elle remplaçait le rôti absent par une histoire, Scarron n’était pas si difficile à rire que Louis XIV, dont elle disait qu’elle s’ennuyait à la fin de tâcher de divertir quelqu’un qui n’était plus amusable. Dans cet intérieur royal qui va s’assombrissant, se glissent les robes noires, les confesseurs rôdent en chuchotant, et doucement se préparent et s’organisent l’édit de Nantes, les dragonnades des Cévennes, le ministère Chamillard. À quoi cela a-t-il tenu ? à quelques centaines de pistoles, à un rhumatisme de plus ou de moins. — Cromwell manque de souliers pour se rendre au vaisseau qui devait l’emporter à la Jamaïque. Si le farouche puritain avait eu une paire de chaussures, Charles Ier aurait gardé sa tête sur ses épaules. — Si madame Scarron fût retournée en Amérique, Louis XIV aurait probablement continué ses ballets, ses carrousels et ses amours ; l’ennui des dernières années de son règne n’eût pas provoqué le long carnaval de la régence et les orgies de Louis XV, où la noblesse fit tant d’excès, que la révolution devint fatalement indispensable comme réaction et comme châtiment. Il faut si peu de chose pour faire gauchir et détourner à sa source tout un fleuve d’événements !

Lorsqu’on dressa le contrat de mariage, le notaire demanda à Scarron ce qu’il reconnaissait lui être apporté par sa future ? « Deux grands yeux fort mutins, un très-beau corsage, une paire de belles mains et beaucoup d’esprit, répondit-il. — Quel douaire lui assurez-vous ?