Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

échangé l’anneau d’or dans un baiser muet. Dans le cœur de Calixte un poinçon invisible avait buriné cette phrase : — Je n’aurai jamais d’autre époux que Henri Dalberg.

Au bout de quelques mois, M. Desprez, qui s’était jusque-là parfaitement contenté des ressources que la ville de C*** offrait à son loisir, prétendit qu’il avait assez lu Horace, que le whist était un jeu monotone et que le poisson devenait de plus en plus rare dans la rivière locale. — Il sentit tout à coup le besoin de revoir des parents oubliés depuis vingt ans, et qui devaient lui être fort utiles pour certaines opérations qu’il méditait. Bref, il annonça qu’il partait pour Paris, dans l’intention d’y passer une partie de l’année.

Calixte, avec ce machiavélisme familier aux plus honnêtes natures féminines, avait inspiré à son père, qui n’en avait nullement envie, l’idée de ce voyage ; et M. Desprez, sans trop savoir pourquoi, s’était trouvé installé rue de l’Abbaye, dans un appartement retenu d’avance par un ami.

Dalberg vint naturellement voir le père de Calixte, et les choses se passèrent à peu près au faubourg Saint-Germain comme à C***, et dans le salon rouge comme dans le salon gris. Seulement M. Desprez, reprenant goût à la vie parisienne, vendit sa maison de C***, et s’établit d’une manière définitive dans cette rue, dont la tranquillité lui plaisait et lui permettait de jouir de ce qu’il appelait en riant le sommeil de province.

La tolérance de M. Desprez s’expliquait tout naturellement ; ce qui pouvait arriver de pis, c’est que les jeunes gens devinssent très-amoureux l’un de l’autre ; et, comme Dalberg était d’une famille honorable et possédait une assez jolie fortune, l’ex-notaire, sûr de la vertu de sa fille et de la loyauté du jeune homme, ne voyait à cela aucun inconvénient. La perspective