Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/51

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— Calixte Desprez, répondit Rudolph en sourdine ; et si près de la voiture que la roue rasa presque la hanche de son hack.

Un éclair de joie maligne illumina la figure d’Amine.

— Qui eût pensé, disait Florence à Dalberg, mais avec un doux sourire et des yeux attendris, que vous étiez capable d’un sentiment si pur ? — Cette religion de l’amour m’a touchée.

— L’adresse ? continua du même ton Amine en feignant d’admirer un point de vue.

— Rue de l’Abbaye, 7, répondit Rudolph du bout des lèvres et courbé sur le cou de sa monture.

— Il y a, répondit Dalberg, dans une pièce de Calderon, la Dévotion de la Croix, un certain chenapan nommé Eusebio qui n’a d’autre mérite qu’une foi profonde dans le signe de la rédemption.

— Et qui est sauvé. — Mais vous n’avez plus votre talisman, dit Florence, et le diable a tout pouvoir sur vous.

— J’espère, dit Rudolph poursuivant la conversation à travers le bruit des roues et les piétinements des chevaux, que tu feras le plus mauvais usage possible de ces documents ?

— Soyez tranquille, dit Amine.

Comme on était assez loin, on dit au cocher de toucher vers Paris, et la voiture redescendit l’avenue des Champs-Élysées au petit pas des chevaux, la mode étant d’aller doucement, mode assez sage dans ce dédale mouvant de phaétons, de tilburys, d’américaines, d’escargots, de broughams et d’équipages de toutes sortes.

Rudolph eut fort à faire de saluer toutes les beautés de sa connaissance rencognées dans l’angle d’un petit coupé, en compagnie d’un King’s Charles ou d’un énorme bouquet.