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8 LES VACANCES DU LUNDI.

Cuve, formé par la rivière du Belliard. C’est un site où les touristes iraient en pèlerinage s’il se rencontrait ailleurs qu’en France. La nature, qui sait bien peindre quand elle s’en mêle, a composé dans ce coin perdu un Salvador Rosa plus magnifiquement sauvage que pas un de ceux qu’on

admire aux galeries. D’un banc de roches anfractueuses, fendillées, plaquées de mousse, de

saxifrage, formant comme le mur de soutènement du plateau supérieur, la rivière s’élance après avoir traversé un bois par la brèche qu’elle s’est ouverte et retombe en écume dans le bassin qu’on appelle la Cuve, où elle se tranquHlise bientôt et reflète à son miroir transparent et sombre les blocs granitiques entassés sur ses bords et les arbres dont les racines se sont glissées entre leurs masses. Cet endroit a un caractère de grandeur, d àpreté et de solitude qui le distingue de tous les sites environnants. Ces rochers austères conviendraient à une Thébaïde, ces arbres mystérieux semblent laits pour abriter un anachorète, et l’imagination y place volontiers un saint Jérôme à genoux devant une croix de roseau et se meurtrissant la poitrine d’un caillou ; son lion symbolique trouverait là des mousses pour se coucher. Mais, vers le soir, à l’ermite on substituerait avec vraisemblance un brigand accoutré d’une manière farouche et bar-