Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/12

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Que n’ai-je pas lu ? J’ai épuisé tous les cabinets du quartier. Que d’amants malheureux, que de femmes persécutées m’ont passé devant les yeux ! que de souterrains n’ai-je pas parcourus ! Aussi je suis devenu d’une si merveilleuse sagacité, que, dès la première syllabe d’un roman, je sais déjà la fin.

On aura beau dire, Notre-Dame de Paris ne vaut pas le Château des Pyrénées.

Là belle dame élégante que vous avez maintenant, vous, jeune fashionable blasé, ne vaut pas la femme de chambre de votre mère, qui vous a eu il y a dix ans, vous, écolier naïf et tremblant, pauvre chérubin plus timide que celui de Beaumarchais, qui n’osiez pas oser, même avec la fille du jardinier.

Le seul plaisir qu’un livre me procure encore, c’est le frisson du couteau d’ivoire dans ses pages non coupées : c’est une virginité comme une autre, et cela est toujours agréable à prendre. Le bruit des feuilles tombant l’une sur l’autre invite immanquablement au sommeil, et le sommeil est, après la mort, la meilleure chose de la vie.

Je vous ai promis de vous conter mon histoire ; ce sera bientôt fait. J’ai été nourri par ma mère, et sevré à quinze mois ; puis j’ai eu un accessit de je ne sais quoi en rhétorique : voilà les événements les plus marquants de ma vie. Je n’ai pas fait un seul voyage : je n’ai vu la mer que dans les marines de Vernet ; je ne connais d’autres montagnes que Montmartre. Je n’ai jamais vu se lever le soleil ; je ne suis pas en état de distinguer le blé