Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/140

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Rodolphe sortit aussi quelques instants après. À voir la manière dont il s’en allait dans la rue, la main dans sa poitrine, les sourcils sur le nez, les coins de sa bouche en fer à cheval, les cheveux aussi mal peignés que possible, il n’était pas difficile de comprendre que ce pâle et malheureux jeune homme avait un volcan dans le cœur.

— Monsieur ! monsieur ! vous avez oublié d’ôter votre bonnet de coton, et les polissons crient : À la chienlit ! après vous, dit Manette en tirant par la basque de son habit son digne maître Rodolphe, qui ne s’en apercevait pas le moins du monde. Tenez, voilà votre chapeau.

Rodolphe, stupéfait, porta la main à sa tête et reconnut la vérité, l’épouvantable vérité.

À cet instant même, une dame d’une beauté rare et d’une tournure des plus élégantes, donnant le bras à un monsieur le plus insignifiant et le plus débonnaire d’aspect qu’il vous plaira d’imaginer, tourna subitement le coin de rue, et se trouva précisément en face de Rodolphe.

C’était madame de M***. À l’éclat de rire à peine comprimé qui jaillit de sa bouche, il ne put douter qu’elle ne l’eût vu.

Rodolphe se souhaitait sous la terre à la profondeur de la couche diluvienne, dans le lit calcaire où se trouvaient les os de mammouth ; il aurait bien voulu pouvoir se supprimer temporairement, ou avoir à son doigt l’anneau de Gygès, qui rendait invisible.