Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/151

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épopée dont vous venez de voir le commencement.

Le lendemain Mariette, après l’avoir curieusement fait bâiller, remit à son maître une toute petite lettre où les chiffres de madame de M*** étaient estampés au fer froid. Il l’ouvrit avec précipitation : c’était son billet d’invitation. Dans les lacunes de l’impression, remplies par la main de madame de M***, une écriture anglaise grêle et fluette se penchait paresseusement de gauche à droite, et s’épaulait sans façon contre les lettres moulées. Cette écriture choqua Rodolphe : c’était l’écriture de toutes les femmes possibles, maintenant que toutes les femmes savent écrire et que les cuisinières orthographient épinards sans h aspirée. Cette anglaise-là était celle qu’on démontre en vingt-cinq leçons, et qui ne permet pas aux mœurs et aux habitudes de la personne de se reproduire dans ses courbes et ses déliés mathématiques. Richardson, qui a tout observé, fait la remarque que l’écriture de la mutine amie de Clarisse Harlowe était irrégulière et fantasque comme son esprit, et que les queues de ses p et de ses g étaient contournés avec une crânerie particulière. Maintenant, il n’aurait rien à reprendre à l’écriture de la capricieuse miss ; car les femmes, après avoir adopté une âme de convention, un esprit et une figure de convention, ont adopté aussi une écriture de convention, en sorte qu’il n’est plus possible de les saisir un seul moment dans le vrai ; elles sont perpétuellement armées de toutes pièces : il y a là dedans une rouerie machiavélique. Un billet d’amour ainsi