Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/195

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je pourrai poser pour un autre Lara ; j’aurai du remords et du sang au fond de ma destinée, et chaque poil de mes sourcils froncés couvrira un crime sous son ombre : les petites filles oublieront de sucrer leur thé en me regardant, et les femmes de trente ans songeront à leurs premières amours.

Rodolphe s’en fut le lendemain chez M. de M***, fondant les plus grandes espérances sur son stratagème ; il s’attendait à voir une scène de désolation, madame de M*** tout en pleurs et convenablement échevelée, le mari les poings crispés et arpentant la chambre d’un air mélodramatique : rien de tout cela.

Madame de M*** en peignoir blanc, coiffée avec un soin remarquable, lisait un journal de modes, dont la gravure était tombée à terre, et que M. de M*** ramassait le plus galamment du monde.

Rodolphe fut aussi surpris que s’il avait vu quelque chose d’extraordinaire : il en resta les yeux écarquillés sur le seuil de la porte, incertain s’il devait entrer ou sortir.

— Ah ! c’est vous, Rodolphe ! fit le mari ; enchanté de vous voir. Et il n’y avait réellement rien de méphistophélique dans la manière dont il disait cela.

— Bonjour, monsieur Rodolphe, fit madame de M*** ; vous arrivez à propos : nous nous ennuyons à périr. Que savez-vous de neuf ? Et il n’y avait rien de contraint ou d’embarrassé dans la manière dont elle disait cela.