Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/209

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rodolphe. — Je n’ai pas envie de rire, je te jure.

albert. — Cela peut être, mais tu n’en es pas moins risible.

rodolphe. — Qu’est-ce que cela te fait ?

albert. — Oh ! rien, absolument. Eh bien ! mets que je fais la cour à ta maîtresse : après ?

rodolphe. — Ainsi, tu consens ?

albert. — Je ne consens pas du tout ; c’est une façon de parler seulement pour voir où tu en veux venir.

rodolphe. — Alors je suis jaloux : tu comprends.

albert. — Pas le moins du monde ; mais fais absolument comme si je comprenais.

rodolphe. — Je suis jaloux, mais jaloux romantiquement et dramatiquement, de l’Othello double et triple. Je vous surprends ensemble : comme tu es mon ami, le trait serait des plus noirs, et la scène se composerait admirablement bien ; il serait impossible de trouver rien de plus don Juan, de plus méphistophélique, de plus machiavélique et de plus adorablement scélérat. Alors, je tire ma bonne dague, et je vous poignarde tous les deux, ce qui est très-espagnol et très-passionné. Qu’en dis-tu ?

Ici Albert regarde à trois reprises Rodolphe de la tête aux pieds et des pieds à la tête, après quoi il s’enfuit, en faisant des cabrioles et en riant comme un voleur qui voit pendre un juge.

Rodolphe, très-scandalisé, ravale sa salive, et tâche de prendre une attitude majestueuse.